Jeu Ğeconomicus modèle de la monnaie dette
La monnaie est créée sous forme de crédit, ce qui revient à dire que la monnaie est créée sous forme de dette.
Si le crédit et la dette sont les deux faces d’une même opération, tout dépend du point de vue où l’on se place pour apprécier la situation.
La monnaie dette, ou « système à réserve fractionnaire », est le système adopté partout dans le monde. Dans ce système, la monnaie est créée par les banques commerciales lorsqu’elles émettent un crédit.
Quand la monnaie dette est utilisée pour le Ğeconomicus sur ce modèle, le jeu montre les positions que chacun peut occuper dans la relation créancier-débiteur.
Le tout consiste à faire « tourner la monnaie » ! Mais en faveur et au détriment de qui ?
Compte rendu :
Que l’essentiel de la monnaie soit créé par le crédit bancaire, ce n’est pas vraiment un secret, c’est dans tous les manuels d’économie. Mais pas de quoi en faire un grand complot. Or les voix de nos chers invités lors de la dernière session de notre jeu ĞECONOMICUS sur le modèle de la monnaie-dette ont toutes exprimé de concert leur étonnement profond sur l’interprétation et l’analyse des résultats de leur participation. Étonnement profond à double titre: à la fois à propos de l’ambiance générale (le déroulé du jeu et ses surprises, malgré la relative facilité à assimiler les règles du jeu) et sur le comportement des participants eux-mêmes, pris individuellement dans leurs contradictions avec leurs valeurs morales).
Même s’ils parviennent souvent à comprendre que les gouvernements (représentés par Maxime) peuvent choisir d’emprunter de la monnaie aux banques privées, ils ne peuvent envisager que ces dernières puissent imposer à ces gouvernements de payer des intérêts alors qu’ils pourraient créer tout la monnaie dont ils ont besoin, exempt d’intérêts. Les réponses implicites des participants au Ğeconomicus monnaie-dette ont révélé une croyance contraire: ils ont été très impressionnés par la complicité de leur gouvernement avec leurs maîtres, les banquiers (représentés en les personnes de Damien et Tristan), avec l’appui de la force coercitive (le gendarme de l’état : Yassine).
Cette session de jeu nous a permis de dégager trois types d’observations sur le pourquoi de cette mise en équation psychologique et la réponse des analystes (Qui dans le staff du FDLM ?) à cette question est plus simple. Les stratégies adoptées par nos valeureux joueurs ont montré que les possibilités de coopération s’inscrivait dans le cadre de réflexion suivant :
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D’abord, en position d’équilibre fort, l’État n’a pas emprunté auprès des banques (à court terme, il leur aura plutôt prêté de la monnaie…). Pour se financer, il (Maxime) a donc émit des titres négociables, des obligations (titres obligataires symbolisés comme pour la première session _ modèle du SEL _ par des Tickets), qui sont souscrites par des particuliers, des entreprises, des assureurs, diverses institutions. La dette publique est donc finalement financée par leur épargne.
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Ensuite, la création monétaire par les banques centrales est bien plus inflationniste que l’emprunt. Pourquoi ? Parce que lorsque l’Etat emprunte, la ponction sur le marché des capitaux a lieu au détriment d’autres financements : les obligations d’Etat « évincent » le secteur privé, qui aurait lui aussi besoin de cette monnaie (« effet d’éviction » : lorsque l’Etat emprunte, il fait grimper le taux d’intérêt, ce qui pousse des entreprises à renoncer à leurs projets d’emprunts).
Mais enfin et surtout, les participants de notre dernière session ont ressenti une méfiance radicale (peut-être une intuition « pré-flop », comme on dit au poker ?) face aux mécanismes de création monétaire directe par la banque centrale. Il est vrai qu’elle a très souvent, par le passé, conduit à de l’inflation. Or, ce n’était pas le cas cette fois-ci. Pour être saine, elle (la banque centrale étatique : Maxime) a eu vocation à entraîner la création de nouvelles « activités ». Mais à tort ou à raison (c’est un autre débat), dans la réalité, la plupart des pays occidentaux ont préféré éloigner d’eux ce pouvoir trop tentant. Ils ont donc confié la « planche à billet » à des banques centrales indépendantes, au motif « qu’on ne laisse pas la crème à la garde du chat ».
Mais peut-être les économistes font-ils partie du complot… Car le génie du Ğeconomicus, cette fois-ci donc, aura manifestement eu la malice d’entraîner nos innocents participants dans un tourbillon de contradictions, toutes plus déchirantes les unes que les autres : anxiété et avidité, ruse et crédulité, corruption et marché noir, concurrence et compétition, excitation et fatigue… Même la crainte du gendarme n’aura pas eu gain de cause sur la probité des joueurs et contre leur cupidité avouée : combien se sont retrouvé avec bonheur en prison, pour transformer leur univers carcéral en véritables paradis financiers (de succulentes pâtisseries !), où la plus « horrible » des combinaisons mafieuses s’y est formée (échanges illégaux de tickets et de bombons) ! À telle enseigne qu’il aura fallu même multiplier les prisons (de pauvres paper-boards assignés pour cette fonction, comme de misérables paravents ) !
Bref, nous aurons eu cette fois-ci un véritable carnage ! Au nom de l’accumulation de richesses, l’intégrité des jouets s’en est retrouvée totalement mise à mal et leur surprise (douce colère contre le gendarme, contre les banques, contre l’état et surtout, in fine, contre eux-mêmes). Non que le plaisir du jeu en ai disparu (la simulation du modèle est certes un processus hyper simplifié, mais la dimension ludique reste suffisamment présente pour que le dispositif de jeu continue d’être un minimum agréable), mais un certain stress _ positif, lié au plaisir presque jouissif du jeu _ a progressivement pris le dessus.
Ah, le « plaisir presque jouissif du jeu » ! N’est ce pas aussi ce qui nous aura motivé à vous inviter à venir expérimenter par vous-mêmes le fonctionnement de ce modèle économique ? Et par de là même cette activité particulière, à venir vous informer sur les mécanismes de création monétaire en général et ses multiples enjeux, à l’occasion de ce Festival De La Monnaie ? Les joueurs auront pu aller jusqu’à leur propre autocritique en ce que celle-ci dépendait de leurs croyances ( leurs conceptions initiales, comme on dit souvent dans le langage didactique). Croyances exigées pour les équilibres agrégateurs de la partie, mais dont la nature a finalement révélé un équilibre séparateur.
Les implications du modèle ont donc été tout de suite sources d’inquiétudes, presque aussi proches que dans les situations réelles, excepté que l’on jouait sur une échelle de 80 ans, donc extrêmement plus accélérée. On verra sur le tableau quelles auront (ou ne l’auront pas) pu être les probabilités d’enrichissement et ou d’appauvrissement, malgré les paiements latéraux. Ici, le mécanisme de Myerson-Satterhwaite aura été quelque peu bafoué !
Selon Graeber, l’endettement est une construction sociale fondatrice du pouvoir. Nos malheureux participants (rires) ont pu se souvenir que, si autrefois les débiteurs insolvables ont nourri l’esclavage, aujourd’hui les emprunteurs pauvres _ qu’il s’agisse de particuliers des pays riches (nos joueurs du Ğeconomicus monnaie-dette en étaient) ou d’États du tiers-monde _ sont enchaînés aux systèmes de crédit (pour le démontrer, il aura fallu que Damien et Tristan acceptent de proposer des « promos » !) Sic. Il aura aussi fallu qu’ils se familiarisent avec le jeu (ses interactions, sa méthodologie, l’efficience _ ou l’inefficience _ de ses marchandages) pour se débarrasser ce cette illusion d’optique qui consistait à jeter l’opprobre sur les débiteurs et jamais sur les créanciers. On a quand même évité de peu l’explosion sociale sur ce groupe, non ?
Rires et applaudissements… Ces constructions imaginaires sont bien sûr ce que les scientifiques appellent des « modèles », et elles n’ont rien d’intrinsèquement mauvais. En fait, on pourrait honnêtement soutenir, à notre sens (et je crois pouvoir parler au nom de tout le staff du FDLM), que nous serions incapables de penser sans elles. Le problème avec ces modèles _ il semble du moins toujours se poser quand nous modélisons ce qu’on appelle « le marché » _ est qu’après les avoir créés nous sommes souvent enclins à les traiter en réalités objectives,voire à nous prosterner devant eux et à nous mettre à les adorer comme des dieux. « Nous devons obéir aux impératifs du marché ! »
Mais qu’est ce qu’une dette, en fin de compte ? Une dette est la perversion d’une promesse. C’est une promesse doublement corrompue par les mathématiques et la violence. Si la liberté (la vraie) est l’aptitude à se faire des amis (nous avons pu nous en faire de nombreux tout de même ce Vendredi-là, n’est-ce pas ?), elle est aussi forcément, la capacité de faire de vraies promesses. Quelles sortes de promesses, les participantes et les participants du FDLM (authentiquement libres ?) pourraient-ils faire aux autres ? Au point où nous en sommes (c’est-à-dire, au vu et au su des résultats de cette dernière session) nous n’en avons pas la moindre idée. La question est plutôt de trouver comment arriver en un lieu qui nous permettra de le découvrir. Et le premier pas de ce voyage est d’admettre que, en règle générale, comme nul n’a le droit de nous dire ce que nous VALONS, nul n’a le droit de nous dire ce que nous devons. Notre gratitude va encore toutefois à nos généreux hôtes de Cap Science !
Merci à tous les participants.
À bientôt pour la prochaines session, consacrée cette fois-ci à l’expérimentation du modèle fondé sur le revenu universel.
Au plaisir de vous retrouver, plus nombreux et passionnés (rires) !